Melissa Fleming, la voix des Nations Unies

Elle a été la voix des réfugiés pendant 10 ans, aujourd’hui devenue celle de l'Organisation des Nations Unies toute entière, mais qui est donc Melissa Fleming ?

PREMIERE PARTIE : La voix des réfugiés


  • Publié le 10/02/2021
  • Par Solène Cahon

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Melissa Fleming jusqu’alors porte-parole des réfugiés aux Nations Unies, a pris ses fonctions comme Secrétaire générale adjointe à la communication globale des Nations Unies en Septembre 2019. Retour sur une carrière mouvementée et sur son combat pour les réfugiés.

De l’université aux Nations Unis

Melissa Fleming, une américaine de 53 ans, a consacré une grande partie de sa vie à son engagement pour les Nations Unies.

Détentrice d’une maîtrise en journalisme du College of Communication de l’Université de Boston et d’une Licence d’Études allemandes de l’université Oberlin College, dans l’Ohio. Elle débute comme spécialiste des affaires publiques à Radio Free Europe et Radio Liberty à Munich. Avant de devenir porte-parole et chef des médias et de la sensibilisation pour l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de l’ONU à Vienne (Autriche).

C'est en 2009, qu'elle fait ses premiers pas pour les réfugiés. Nommée par Antonio Guterres, à l’époque haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (aujourd’hui secrétaire général de l’ONU). Elle reste, jusqu'en 2019, chef de la communication globale et porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), à Genève (Suisse). Voyageant en zone de guerre, le plus souvent dans des camps réfugiés, elle mène des campagnes pour construire un soutien et redonner une voix à des millions de victimes. En parallèle de quoi, de 2016 à 2017, elle officiait comme conseillère principale et porte-parole de l’équipe de transition du Secrétaire général des Nations Unies.

Son combat, rendre leurs voix aux réfugiés

Auteur de « A Hope More Powerful than the Sea » (2017), ouvrage poignant sur le périple d’une miraculée syrienne. Il sera repris au cinéma par Steven Spielberg et J. J. Abrams.

C’est un matin de septembre 2014, à la lecture d’une dépêche de l’Agence France-Presse, qu’elle découvre les prémices de ce récit. Une jeune Syrienne de 19 ans, Doaa Al Zamel a survécu au naufrage d’un bateau transportant 500 migrants d’Egypte vers Malte. La rescapée, non sans peine, a rassemblé ses forces pour sauver un enfant de 17 mois. S’accrochant avec lui à une bouée comme à la vie, elle résista durant quatre jours et quatre nuits dans l’eau glaciale de la Méditerranée. A cette lecture, comme premier réflexe, Melissa Fleming saute dans un avion pour la Crète. Emue par cette histoire, elle se battra pour que celle-ci soit racontée.

Animatrice du podcast primé « Awake at Night » d’une quarantaine de minutes (3 saisons et 29 épisodes). Elle y développe les engagements des travailleurs des Nations Unies dans certains des endroits les plus difficiles et dangereux au monde. (« What does it take to be a United Nations worker in some of the world’s most difficult and dangerous locations? »).

Entretien : la voix de celle qui se fait porte-parole

Dans cette interview (traduite en français) datée de Janvier 2019, Melissa Fleming nous expliquait le cœur de son engagement de longue date :


Pouvez-vous m’en dire plus à propos du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations Unis et de votre rôle en son sein ?



M.F : Je travaille comme chef de la communication pour l’agence des réfugiés des Nations Unies. Donc mon boulot est de représenter 68,5 millions de personnes dans le monde aujourd’hui, qui ont été forcées de fuir leur pays. Mon travail consiste à raconter leurs histoires mais aussi à leur donner une plateforme afin qu’ils la racontent eux-mêmes. Il est important pour nous de mettre en lumière ces histoires humaines. Donc pas seulement d’éveiller les consciences et de construire l’intérêt, mais d’engendrer l’empathie et la compassion grâce à un puissant « storytelling », puis de demander aux gens de mener des actions. Donc, pour faire court, notre stratégie de communication globale est d’informer mais aussi de pousser les gens à se soucier et à agir.


Quels sont vos projets en ce moment ?



M.F : J’ai un grand nombre de projets en ce moment, parmi eux un nouveau podcast appelé « Awake at night » (Réveillé la nuit) sur iTunes, ou n’importe où vous pouvez écouter des podcasts. Ce dernier inclut des interviews avec des demandeurs de la UNHCR et d’autres humanitaires qui ont dédié leurs vies aux réfugiés.

J’ai aussi récemment été impliquée dans un évènement Ted, la TEDxPlaceDesNationsWomen (TESxPlaceDesNationsFemmes) le 6 décembre (2018). Y étaient présents en tant qu’intervenant, une réfugiée syrienne, étudiant aujourd’hui pour devenir pilote au Royaume-Uni et ressentant la possibilité de surmonter le récit classique du réfugié. Ainsi qu’un autre intervenant qui a passé toute sa vie comme apatride et a juste récemment obtenu une nationalité. A travers ces récits humains, j’éspère obtenir beaucoup d’attention sur ces deux causes.

Puis en Juin (2019) je répéterai ma participation au TEDxKakumaCamp pour la seconde année, rassemblant bon nombre de voix de réfugiés. J’insiste sur le fait qu’il très important pour moi et mes collègues de donner aux réfugiés une plateforme pour raconter eux-mêmes leurs histoires.


Dans votre conférence TEDx « Let’s help refugees thrive, not just survive » (Aidons les réfugiés à prospérer, pas juste à survivre) vous insistiez sur la caractéristique de longévité de la situation de réfugié. Pensez-vous que pour commencer à réellement aider les réfugiés à notre niveau, nous devons préalablement changer notre façon de les percevoir ?


M.F : En fait, ce qui a choqué beaucoup de monde lors de cette conférence fut que le temps moyen qu’un réfugié passe en exil est de 20 ans. En réalité, les gens supposent simplement que la vie de réfugié n’est que temporaire. Alors que pour beaucoup cela peut même durer une génération entière. Donc je pense qu’il faut que les gens comprennent le concept d’exil et ce qu’il implique. Pour cela il est très important de permettre aux réfugiés de contribuer à la société dans laquelle ils vivent. Il ne s’agit pas seulement de les aider à se réintégrer mais aussi d’aider les pays qu’ils ont fui à devenir pacifique un jour. Mais avant cela nous devons construire une conscience globale à propos des réfugiés. Afin de remplacer la perception selon laquelle ce sont purement et simplement des victimes de conflits, par celle de personnes incroyablement fortes, résilientes et capables de réunir les pièces de leurs vies pour les reconstruire.


Pouvez-vous m’en dire plus sur la place de l’éducation dans ce combat ?


M.F : Il doit bien y avoir l’argent dans le monde afin d’envoyer chaque enfant réfugié à l’école. Aujourd’hui seulement 50% des réfugiés mondiaux ayant l’âge requis sont scolarisés, un taux encore plus bas lorsqu’on parle du secondaire (collège et lycée). En ce qui concerne l’université, seul 1% des réfugiés sont capables d’atteindre l’éducation supérieure. Il y a quelque chose de vraiment mauvais dans ce tableau que je vous dépeins. Même s’ils ne s’intéressent pas à ces jeunes gens, je pense qu’il serait d’un intérêt personnel stratégique pour les gouvernements, d’investir dans ces jeunes réfugiés, très souvent inactifs et traumatisés. De leur offrir la chance de guérir à travers l’éducation et de poursuivre des études afin qu’ils puissent devenir indépendants et des citoyens bâtisseurs de leurs propres communautés.


Vous êtes très active sur les réseaux sociaux, pensez-vous qu’aujourd’hui ils sont un atout pour les causes humanitaires et si c’est le cas, en quoi ?



M.F : Je fais ce genre de travail depuis un moment maintenant et il n’y a pas si longtemps, notre seul moyen de communication avec le public général était à travers les journalistes. Maintenant nous avons une opportunité additionnelle d’atteindre directement les gens grâce aux réseaux sociaux. On pourrait placer nos informations sur une plateforme différente mais ça n’aurait pas le même impact. Par exemple, en mettant en lumière une histoire humaine, celle-ci mènera à la même information peu importe la plateforme, mais elle sera rendue bien plus accessible via l’audience des réseaux sociaux. Nous sommes aussi capables d’impliquer plus les gens avec les likes, commentaires et partages. En plus, nous pouvons parfois organiser des évènements afin de permettre aux gens de sentir membres d’une communauté. Nos comptes sur les réseaux sociaux nous aident à accéder à d’énormes audiences et nous rendent capables de produire des contenus plus attractifs pour les jeunes.

« Ressentez leurs histoires vous-mêmes », pour que lorsque vous parlez d’eux, vous construisiez ce pont d’empathie entre eux et la personne à qui vous parlez.

Au-delà du combat humanitaire pourquoi est-il si important pour vous de raconter les histoires personnelles de ceux pour qui vous vous battez ?

M.F : Il y une phrase qui dit « les statistiques sont des êtres humains asséchés de leurs larmes » (« statistics are human beings with the tears dried of »). En psychologie sociale il est en fait prouvé que quand les personnes sont présentées avec des statistiques ou grands nombres, l’audience se sent ensevelie et engourdie, ça s’appelle « l’engourdissement psychique » (« psychic numbing »). Il y a ainsi plus de chances qu’ils cliquent juste et passent à l’histoire suivante. Je crois vraiment que quand on raconte les histoires individuelles des réfugiés, les gens sont mieux capables de répondre, ressentir une véritable empathie et réellement faire quelque chose.

Pour exemple, la conférence TED que j’ai faite sur l’histoire de Doaa Al Zamel, à l’origine de mon livre A Hope More Powerful Than The Sea (Un espoir plus puissant que la mer), que Steven Spielberg et JJ Abrahams ont transformé en film. Je suis convaincue que cela a touché beaucoup de gens car c’est l’histoire d’une seule et très unique personne qui incarne la souffrance de millions d’autres.

De plus, je ne laisse pas juste les histoires de ces personnes dans cette espèce d’état de victime. Je montre leur force, leur résilience et qu’il y a de l’espoir. J’ai demandé à toute mon équipe de se concentrer sur des individus et de prendre le temps d’écouter les réfugiés. Je dis « feel their stories yourself » (« ressentez leurs histoires vous-mêmes »), pour que lorsque vous parlez d’eux, vous construisiez ce pont d’empathie entre eux et la personne à qui vous parlez.